Anonyme au milieu de la foule attroupée devant l’immense panneau d’affichage, je fixai les lettres qui défilaient dans un bruit semblable à un essaim d’insectes. Comme moi, des nombreuses personnes s’impatientaient devant la longueur de l’attente que le bug informatique nous imposait. Une mère de famille tentait de canaliser sa marmaille à ma droite, alors qu’un VRP tapotait nerveusement la mallette posée sur ses genoux à ma gauche… Depuis bientôt quinze minutes, les vols étaient mis en suspend et une voix informatique ne cessait de répéter dans les hauts parleurs que les techniciens travaillaient actuellement sur le problème et que les services de l’aéroport seraient de nouveau accessible d’ici quelques instants.

Après sept cent quarante trois secondes, que j’avais pris soins de compter pour calmer mes nerfs, les ailettes s’immobilisèrent enfin pour annoncer les différents avions. Des hourra de soulagement s’élevèrent dans le hall et la vie du terminal repris son cours comme si de rien n’était. Le VRP s’élança vers le tapis roulant, alors que la mère de famille cherchait désespérément ses billets au fond de son sac pour vérifier l’heure de départ de son vol pour Munich. Les yeux toujours rivés sur la liste, je trouvai rapidement le numéro que j’attendais…celui du Boeing en provenance de Moscou.

Imitant les humains autour de moi, je me dirigeai vers le numéro de porte trois.

Derrière les baies vitrées couvertes de gouttes de pluie, je vis l’avion approcher lentement avant de s’immobiliser totalement et que la nacelle soit installée. L’effervescence de l’arrivée commença à se faire sentir lorsque les premiers passagers sortirent de l’habitacle pour se faufiler dans le couloir et les retrouvailles se firent rapidement à grands coups d’embrassades et parfois de larmes. Quelques hommes d’affaires pressés se faufilèrent entres ses effluves de sentiments débordants pour trouver la sortie et je me tins moi-même à l’écart de cette folie momentanée. Celle que j’attendais ne ressemblait en rien à ces bruyants voyageurs, et c’est en toute discrétion que je la vis s’approcher. Aussi belle que dans mes souvenirs, je l’accueilli avec chaleur et un brin de nostalgie. Pour ne pas attirer l’attention sur nous, je me pris même au jeu de l’humanité et me perdis en flatterie inutiles.

- Bienvenue Annika ! Tu n’as pas changé, toujours aussi belle et radieuse que lors de notre dernière rencontre…

J'étais assise dans l'avion. Nous étions partis de Moscou dans la nuit et presque tous le monde dormait. Sauf moi, bien sûr, et un couple qui était parti dans les sanitaires de l'avion et que tous le monde avait fait semblant de ne pas remarquer. J'étais assez silencieuse ce qui n'était pas le cas d'un petit bébé qui criait et hurlait. Je crois que j'étais la seule malheureuse à ne pas avoir des boules en coton dans les oreilles, mais je m'en moquais et puis ce pauvres petit avait une couche pleine et une grande envie de manger, je le comprenais assez même si au bout d'un moment il s'arrêta.

J'avais hâte que l'avion atterrisse et de ne plus avoir à être fixée du regard par l'homme à côté de moi, il avait l'air assez ennuyeux,il portait une chemise cravate, le style même de l'homme d'affaire qui veut paraître décontracté. Je tournais la tête vers le hublot et je vis avec bonheur que nous allions atterrir. C'est alors qu'une personne ou plutôt un petit brun d'environs huit ans qui eu la bonne idée de crier « On va se crashés » j'eus envie de rire, c'était un gamin mais il fit paniquer ces deux petit frères qui se mirent à pleurer et à crier, j'eus alors envie d'étrangler ce petit morveux qui après avoir mis la pagaille se mettait à rire à gorge déployée. Nous atterrissions sans encombre et les petits en voyant qu'ils étaient sur la terre ferme se turent momentanément.

En me les entendant plus j'eus envie de pousser un soupir de soulagement mis je ne disais rien, j'eus juste un petit sourire qui vient se glisser à la commissure de mes lèvres. Je me levais et pris mon sac à main attendant que l'on ouvre les portes de l'avion. Nous sortîmes dans un même ouragan humain. En entrant je vis une dizaine de personne se mettre à courir vers notre direction et je vis même une femme sauter dans les bras de son mari, tout était devenu effusion de joie et de retrouvailles ; J'étais heureuse de ne pas participer à cela, et je savais par bonheur que Yezahel n'était absolument pas de ce genre là.

Je le vis d'ailleurs un peu plus loin dans un coin. Je m'approchais donc avec ma démarche de Valkyrie et lui fit un petit sourire, j'étais toujours autant ravi de le revoir dès que je le pouvais. C'est alors qu'il dit :

- Bienvenue Annika ! Tu n’as pas changé, toujours aussi belle et radieuse que lors de notre dernière rencontre…

Je li fit un grand sourire et le détailler du regard rapidement en me disant que lui non plus n'avais pas changer d'un millimètre. Et je lui dis donc :

- Merci Yezahel, je suis flattée, comment vas-tu depuis la dernière fois que nous nous sommes parlés ? 

Ma réplique, bien que particulièrement banale, fit sourire la splendide valkyrie.

La magie qui agissait sur ces femmes aux origines viking me fascinait ! Pas une ride, pas une marque de vieillissement ne se dessinait sur ce visage digne d’un ange. Qui aurait pu deviner qu’il n’en était rien? Que la guerre et les combats jouaient un rôle prédominant dans le quotidien de cette femme ? Personne ! Du moins aucun humain normalement constitué… Je devais bien avoué ma petite jalousie face à cette éternelle jeunesse qui ne demandait aucun soin particulier. Pour ma part, l’entretien de mon corps nécessitait régulier un besoin de moelle épinière ou d’ossements anciens. Nettement moins glamour !

Ce n’était pas la première fois qu’Annika devait entendre ce genre de réplique toute faite, et tellement humaine, pourtant elle se prêta facilement au jeu des compliments.

- Merci Yezahel, je suis flattée, comment vas-tu depuis la dernière fois que nous nous sommes parlé ?

- Fidèle à moi-même très chère, dis-je en désignant mon corps d’un geste de main vertical. La vie parisienne me garde en bonne santé! Je n’ai pas beaucoup de temps pour me prélasser dans un canapé comme tu peux l’imaginer… ça me maintient en forme.

Inutile d’en dire plus, Annika comprit parfaitement où je voulais en venir. Mon identité de dirigeant des créatures mystiques n’était pas un secret pour elle depuis des siècles et, plus que quiconque, elle comprenait les sacrifices ainsi que la dose d’efforts que cela exigeait. Les valkyries, et plus particulièrement la chef de leur clan, n’avaient pas hésité à prendre ma défense en m’offrant une protection à toute épreuve par leur l’hospitalité, à l’époque où mon rôle de dirigeant avait déjà été remit en cause. Si une personne en ce bas monde pouvait comprendre la situation dans laquelle se trouvait Paris, elle se tenait en face de moi!

Pourtant je n’éprouvai pas le besoin de me confier sur ce problème dans l’immédiat. D’abord les retrouvailles ! Viendraient bien trop vite les discussions angoissantes…

- Tu dois être lasse après ce voyage j’imagine. Je propose de récupérer ta valise et que d’aller ensuite discuter autour d’un verre. L’aéroport cache un bar très sympathique pour un établissement tenu pas des humains.

Nous nous dirigeâmes vers la réception des bagages et j’aidai Annika à récupérer ses nombreuses valises. Une femme ne voyageait jamais léger, mais c’est sans parler des valkyries… Je ne comptais pas le nombre de sacs que je tenais entre mes doigts en marchant vers le bar. J’espérai que nous nous y retrouverions tranquilles pour discuter.

« Je te suis mon cher, j'espère que la raison pour laquelle tu m'as faite venir n'est pas trop grave en tout cas. »

- L’état de la situation qui me tracasse n’est pas dramatique pour le moment, mais elle pourrait rapidement le devenir et je pense que ton aide sera nécessaire pour rétablir le bon équilibre.

Abandonnant les bagages devant la vitrine du bar, nous entrâmes dans cette ambiance chaleureuse et nous nous installâmes proche de l’entrée pour pouvoir décamper rapidement en cas de problème. Avant de commencer toute discussion sérieuse je me commandai un café crème et laissai Annika en faire tout autant. Après avoir bu une longue gorgée du liquide encore brûlant, je me décidai à dissiper les doutes de la valkyrie…

- Annika… Si je t’ai demandé de venir aussi rapidement, c’est parce que le problème qui m'angoisse n’est autre que Kira.

Je vis le visage de mon amie se décomposer en entendant mes paroles.

- Elle va bien, pas d’inquiétude sur ce point. J’ai cependant du la recadrer l’autre soir ! Je ne comprends pas ce qui a bien pu lui prendre. Elle a attaqué un humain et là quasiment vidé de son sang ! Sans mon intervention il aurait rejoint le Valhalla ! Pour le moment l’affaire est réglée mais malheureusement j’ai peur qu’elle ne recommence…

-Mais comment est-ce possible Yezahel ? Je te jure sur mon honneur que j'ai tout fait pour éviter que Kira ne sombre lorsqu'elle était avec mais je n'allais pas lui refuser son indépendance.

Je ne pouvais que comprendre la panique qui commençait à gagner Annika. Elle pensait avoir donné la meilleure éducation à Kira, et apprendre que tous ces efforts avaient été vains devait être particulièrement difficile à accepter… sans parler de la peur de voir sa fille se perdre dans sa soif de sang. Nous avions tous les deux crus à une époque que son ascendance vampirique ne serait pas un problème à contrôler au quotidien, nous ne pouvions pas nous être plus trompés.

Posant ma main sur la sienne, je tentai de la rassurer :

- Je sais parfaitement que tu as tout fait pour qu’elle n’en arrive jamais à une telle extrémité, malheureusement sa nature profonde a repris le dessus ! Peut être que la laisser seule n’était pas la meilleure idée, mais comment pouvais-tu prévoir que Kira perdrait à ce point le contrôle ? Même moi je n’aurai imaginé un tel changement !

Derrière ma façade imperturbable, je m’en voulais terriblement de ne pas avoir prévu que Kira deviendrait un danger si important pour les humains qui croiseraient sa route. La petite fille qui s’était si joliment inclinée devant moi lors de notre première rencontre ne m’était pas apparue dangereuse au premier regard, et encore moins quand elle avait résisté à la veine ouverte que je lui proposais.

- J’ignore toutes les raisons de son soudain changement, et dans le fond ce n’est pas notre préoccupation principale. Non, il va falloir que nous trouvions une solution pour qu’elle ne replonge pas ! Je lui ai proposé une solution temporaire que tu ne vas pas approuvé, mais je n’avais pas d’autre choix sur le moment. A nous de trouver une idée lumineuse pour qu’elle puisse retrouver le contrôle de ses pulsions !

Annika me dévisageait sévèrement, comme pour me dire : « Qu’as tu fais à ma fille Yezahel » tout en n’osant pas me contrarier. Je lui la vérité, surtout si nous devions travailler cote à cote pour retrouver la Kira que nous avions vu grandir.

- Je lui ai donné de l’Ecarlate…

Je ne pouvais que comprendre la colère que la valkyrie ressentait à cet instant. Je m'y était d'ailleurs préparé dés qu'elle avait accepté de prendre un vol pour la capitale! Par chance le bar se trouvait dans un coin rétiré de l'aéroport et les tables occupées restaient rares à cette heure de la journée. Je n'eu donc pas besoin de chercher à canaliser Annika pour éviter un scandale et l'intervention de la police...

Fidèle à son caractère, elle partit au quart de tour en laissant ses émotions la submerger à mesure qu'elle prenait conscience de mes paroles.

-Quoi ? Tu lui a donner de la drogue ? Yezahel, malgrès tout le respect que je te dois là je n'en reviens pas, tu as donner de l'écarlate à Kira ? Tu imagines ce qu'il peut ce passer si elle en prend trop ?

Annika devait se sentir trahie par ma décision peu scupuleuse, mais je ne cherchais cependant pas à me justifier davantage sur les raisons qui m'avaient poussées à agir de la sorte. Je ne lui devait rien de plus que la vérité.

- Calme toi, calme toi! Chuchotai-je pour catper à nouveau son attention. Pourquoi penses-tu que je t'ai fais venir à Paris? Pour visiter la tour Eiffel? NON!

Mon ton particulièrement sec sur le dernier mot dû la surprendre, mais je ne supportai de la voir si perturbée et si peu attentive à mes explications. Il fallait la faire réagir.

- Je sais parfaitement le risque que j'ai pris en lui donnant de la poudre! Mais tu aurais peu être préféré que je la laisse faire? Dis-je presque sinique. Je ne crois pas. Et rassures toi, elle ne risque en aucun cas l'overdose avec le peu que lui ai donné. A peine de quoi sniffer trois lignes! Mais effectivement, nous devons nous dépécher de trouver une solution avant qu'elle ne rechute, l'Ecarlate n'est qu'un substitut temporaire.

Je pris le temps de boire encore une gorgée pour paraitre humain et continuai:

- Je pense qu'une conversation mère-fille serait un bon départ pour lui redonner les bonnes bases... Et je pensai à lui trouver un amphitryon. Je crois que malheureusment nous n'avons guère d'autre choix.

Je n’en attendais pas moins d’Annika. Fidèle à elle-même, la valkyrie n’hésita pas à me tenir tête le temps de quelques phrases avant d’admettre que ma réaction avait été la bonne. Bien sur, il lui faudrait du temps pour accepter l’idée que sa fille adoptive ait-eu besoin de drogue pour résister à sa nature vampirique profonde, mais elle finirait par me pardonner… Un jour ou l’autre. L’idée que je puisse éliminer Kira d’un simple claquement de doigt suffirait à lui faire entendre raison si elle recommençait à douter de moi… Je n’étais pas uniquement l’ami du clan, mon devoir de dirigeant impliquait de nombreuses responsabilités que ne peuvent entraver les alliances ancestrales. Pas même pour assurer la protection d’un membre trop dangereux pour la conservation du secret de notre existence. Cela faisait peut-être de moi un monstre, un être cruel et sans pitié. Possible ! Mais je ne régnais pas sur le monde depuis des siècles grâce à ma grande gentillesse et ma sensibilité !

*Chacun a le droit à une seconde chance, je le sais, et je la donne toujours… mais jamais à une troisième.*

- Tu as raison, il vaut mieux que j'aille lui parler, en tant que sa chef mais aussi en tant que sa mère.

- Elle aura besoin des deux pour sortir de cette embrouille Annika. La chef de clan pour lui remettre un cadre, et la mère pour la soutenir. Je sais que tu sauras la résonner.

J’affichais sans doute une grande confiance dans les capacités de raisonnement de mon amie, mais je n’avais pas tellement le choix. Si Annika sentait que je ne croyais pas en cette possibilité pour sauver Kira, sa force de persuasion en aurait été grandement diminuée. Je n’osai d’ailleurs pas imaginer le peu d’espoir de sauver la jeune hybride si la valkyrie échouait dans cette mission… Mais je ne devais pas penser de manière aussi pessimiste ! Me fouettant mentalement pour me sortir de mes pensées, je repris le dessus et poursuivis.

- Ne perdons pas de temps alors… Rentrer dans Paris à cette heure de la journée va être un véritable calvaire, et j’aimerai vraiment que tu parles à ta fille le plus vite possible.

Je repoussai ma tasse vers le centre de la table et me levai.

- Prête ?